MARINE BOURGEOIS

ŒUVRES DE 1989 A 1999

 

 

 

 

 

 

>   Texte correspondant aux vidéos Marches.

ŒUVRES A PARTIR DE 1999

ŒUVRES 2020

ŒUVRES 2021

 

 

Video ergo sequor

 

 

Les vidéos de Marine Bourgeois se présentent comme des énoncés ou des partitions  interprétées, c’est à dire mises en actes – tant au sens de l’action que de la division de la pièce théâtrale. Les Dé-Marches sont ainsi numérotées en chiffres romains de I à V, chaque pièce comprenant six tableaux intitulés d’un nom générique désignant le sujet (le parapet, les ombres, la boue...in Dé-marches I) ou/et  l’action elle-même (montée d’une colline (orage), montée d’une colline de blé en herbe, Immobile devant colline de labours (in Dé-marches V).

L’espace envisagé au fil des Dé-marches  témoigne à la fois de la solitude de la filmeuse dans son acte de faire et être au monde que d’une certaine reliance, à la nature, la terre, le monde et les semblables qui ont labouré ou ensemencé les champs traversés ou contemplés, tracé le sentier, bâti le muret derrière lequel ils protègent leurs morts. Des séquences d’espaces nus, non urbains, naturels mais cultivés.

 

 Chacun des  tableaux marchés   fonctionne comme un témoignage d’ un rapport au paysage. Paysage réduit à sa plus simple expression : une route, un champ, un mur de cimetière, une colline de labours. L’action est elle aussi ramenée à un degré de simplicité extrême : marcher ou rester immobile, énoncé sobre rendu complexe par le fait de porter cet instrument du voir et faire mémoire qu’est la caméra.

 

Le plan est toujours large, exempt de zoom, très exceptionnellement doté d’un mouvement panoramique. Caméra portée, non à l’épaule mais  semble-t-il à hauteur de la poitrine   ou du ventre, reste subjective sans toutefois attendre l’événement ; elle fait trace des mouvements du corps de la filmeuse – pas, respire – tout en demeurant, à l’instar d’un plan fixe, sans distraction. Chaque séquence filmée-marchée  peut ainsi être lue comme la tenue active d’une posture et la tentative de rendre compte d’un rapport de l’homme à un fragment d’espace. Chaque plan-séquence se termine cut, interrompant la narration d’expérience sans faire place à une chute ou un commentaire allégorique, même si le choix du sujet n’en est pas exempt.

 

De fait, pour le spectateur, l’expérience du video est un video ergo sum  qui fait suite à celui de la filmeuse,  en somme un je vois donc je suis, au sens de sequor, suivre l’expérience de la marche de l’autre  et, par contrecoup, se confronter à sa propre expérience du voir et estar, ainsi qu’au lieu depuis lequel un je regarde un autre je et se confronte à l’impossibilité de s’identifier totalement à une expérience tout en vivant l’ilmmédiateté du soi regardant. Le video du regardeur s’accompagne d’une tentative d’accorder son propre souffle à celui de la filmeuse (par exemple pour La terre respire in Démarches I)  afin de réduire la distance entre la marche qui sous-tend la réalisation de la vidéo et  l’assise  qui incombe au spectateur. Impossible réduction de l’écart qui ne fait qu’amplifier les micro-mouvements de la caméra-respirée ou marchée. Paradoxalement, cet exercice de l’altérité de l’expérience devient à son tour expérience de soi face à l’écran.

Cette expérience se traduit assez bien au cours de Montée d’une colline (Orage) in Dé-marches V . Les gouttes de pluie sur l’objectif signant à la fois l’avancée de la filmeuse dans les éléments et le fait que l’image qui en découle reste objet filmique. L’image des gouttes sur l’objectif se mêle à celle des nuages en une texture nouvelle qui énonce l’eau du ciel et la vacuité du video (vide et eau).

 

Cette notion de texture  est à l’oeuvre dans la plupart des pièces, où le grain spécifique du média se mêle à celui du sujet enregistré, renforçant généralement une sensation de touffeur. L’expérience est particulièrement probante dans  le cimetierre de Terrebrent ( in Dé-marches I) où la caméra portée très bas caresse le marbre, le gris des vieilles tombes, la céramique des fleurs mortuaires, alors que le grain vidéo se mêle au gris du gravier des allées, de la terre et des feuilles mortes qui la jonchent, de la nuit qui tombe et de l’espace symbolique qui sous-tend cette prise de vue éprise de vie.

 

Hors-temps, cette expérience du  video se prolonge dans les promenades du regardeur dont elle recharge la perception. Un champ de blé, de colza, un sentier ou une route se trouve qualitativement modifié et la contemplation des plans devient striée, balisée de lignes qui se franchissent pas à pas. Les Dé-Marches de Marine Bourgeois  dé-construisent un certain regard banalisant pour le restituer au champ de l’expérience du pas et du souffle. Par là même, ces tableaux vécus et décantés de tout lyrisme, touchent au pittoresque, au sens de ce qui a dignité d’être peint, qui présente les qualités nécessaires pour éclairer le regard et d-écrire le monde.

 

 

Michel Jeannès 23-25 mai 2009