MARINE BOURGEOIS

 

 

 

Effilochages et détrames

 

 

Le monde est agencement de fibres, architecture d’éléments. Dans Continuum, Marine Bourgeois pratique la détrame, elle défait la texture des lignes, sépare les fils de chaîne des fils de trame. Sur un panneau constitué de douze tableaux, séparés entre eux, aérés, vibrent les verticales. Sur une autre série de tableaux s’étirent les horizontales, plus ou moins effacées, droites ou courbes. Séparer les verticales et les horizontales, faire voir l’entre-deux, le vide d’où s’origine l’espace strié, ordonné. Ces lignes horizontales ou verticales ont été obtenues en appliquant sur un fond blanc des bandes de tissu imprégnées d’enduit noir. Imprégnations et applications sur le fond sont plus ou moins saturées, marquées. Ne restent que les traces, les inscriptions de ce travail d’impression où il faut trouver le geste juste. Pas de droit à l’erreur, au repentir : l’application du noir sur le blanc se fait en une seule fois. Enduire, appuyer, appliquer. M. Bourgeois s’interdit les retouches, les corrections, l’approfondissement du travail pictural qui impliquerait une autre temporalité.

 

Dans Continuum, l’artiste s’efface devant le jeux d’un processus impersonnel : ça s’imprime. Si le monde est bruissement d’ondes sonores, visuelles, liquides, d’écritures et de signes, cela se défait ici. Il ne reste que les verticales et les horizontales sur fond de vide. M. Bourgeois a choisi des formats carrés de 1,20 m de côté. Il suffirait de tourner de 90° ces tableaux pour que les verticales deviennent horizontales, les horizontales verticales. Il n’y a plus de centre de gravité, d’axe déterminant, mais l’inscription d’une scansion originaire, antérieure aux ordonnancements du monde. Les lignes sont plus ou moins visibles. L’impression est proche de l’effacement. De cet effilochage reste une vibration entre les lignes et le fond, un rythme. Longues et courtes, marquées et effacées, continues et rompues. Dans ce geste qui sépare horizontales et verticales, le vide originaire apparaît. Non pas celui de l’Occident, mais de l’Orient. Vide d’où s’originent fils, traits, lignes. Comme dans ses travaux antérieurs, M. Bourgeois expérimente et donne à voir ce battement entre le fond et le trait, le blanc et la ligne. Travail de dénuement et de dénouement.

 

 

Jean Pierre Mourrey.